18 septembre 2006


LETTRE DE SUEDE
Une prétendante au trône de France - appelons-la X -, un temps soupçonnée de dérive droitière, s’est récemment référée au « modèle suédois ».

Il s’agissait pour elle de se distinguer du modèle anglais incarné par Tony Blair et largement plébiscité par les libéraux du monde entier.

Le citoyen lambda s’est vu rassuré. L’Angleterre est synonyme de compétition sociale féroce. La Suède conserve, en revanche, l’image d’une société équitable, jouissant d’un des meilleurs niveaux de vie au monde et d’un consensus social exemplaire.

Ceci dit, il y a fort à parier que notre prétendante X ne s’est pas prononcée au hasard. L’épouvantail Blair effrayait, le débonnaire Persson ne fait peur qu’aux moineaux. Mais leurs politiques sont-elles si différentes ? En y regardant de plus près, on peut en douter.

Certes on ne trouve en Suède aucun SDF sous les portes cochères. De toute façon, il serait mort de froid. Le chômage est faible et les minimums sociaux largement supérieurs aux nôtres. L’intégration des immigrés s’effectue plutôt bien. Les prisons sont confortables. C’est déjà beaucoup.

Un simple séjour en Suède dévoile hélas des aspects du « modèle suédois » moins exaltants. Quelques exemples :
Dans notre village, il n’y a plus de bureau de poste. À la ville la plus proche, capitale de région, il n’y a plus de bureau de poste. Ce qui remplace s’appelle « Kassa » et c’est la banque postale. La guichetière à laquelle ma femme demandait un carnet de timbres l’a regardée comme si elle débarquait de Saturne et lui a expliqué gentiment que c’est au supermarché ou à la station de bus qu’on achète les timbres.
Pour un recommandé, le facteur se contente d’un avis dans la boîte demandant de le retirer au supermarché à 15 kilomètres de là.
Un ami, qui vit dans un hameau, doit faire 3 kilomètres pour seulement relever son courrier, le facteur ne fait plus le détour.
Tous ceux qui suivent l’évolution actuelle de La Poste en France comprennent qu’il s’agit là précisément du modèle suivi par notre pays.
J’ai dû effectuer plusieurs voyages en train, de Stockholm au nord de la Suède. Bilan, sur quatre trains : un retard d’une heure et demie, deux d’une heure et un seul train à l’heure. Sur ma ligne, au moins trois compagnies : SJ (l’équivalent de la SNCF), Connex, Mittlijne. Connex est bien connue des cheminots : c’est la société française qui a commencé à grignoter le terrain de la SNCF dans l’Est, en attendant de dévorer le tout lorsque l’Europe donnera son feu vert. Ici, tout a commencé lorsque l’État a eu l’idée de séparer le transport du réseau ferré et de créer deux sociétés distinctes, comme on l’a fait en France. Puis, on a ouvert le transport à la concurrence.

Lorsque vous emménagez, vous commencez par faire « ouvrir » l’électricité. Miracle, ici les fournisseurs prolifèrent. Ils sont au moins quatre dans la région. On peut même signer son contrat à la station-service. OK (l’équivalent de Total) fournit aussi de l’énergie électrique. Comme pour le téléphone ou Internet. Les prix, du coup, diffèrent considérablement d’une région à l’autre (de 1 à 4).
À propos de téléphone : le technicien qui est venu nous brancher le téléphone était un retraité. L’été, il fait des remplacements.

Ce qui diffère aussi selon l’endroit, c’est l’école. Les établissements scolaires et les enseignants relèvent des communes (une commune correspond à un de nos cantons ou « pays »).

Depuis quelques années, ce sont les directeurs d’établissements qui fixent les salaires. À charge pour les enseignants de négocier. On imagine la qualité des rapports humains au sein des établissements. Les enseignants sont de plus contraints d’assurer les cours nécessaires pour que tous les élèves obtiennent leur année. Jusqu’aux cours particuliers.
Quant à la santé publique, c’est un lent naufrage. En grande partie du fait d’un manque chronique de personnel. Le pays est vaste, la population réduite (neuf millions d’habitants), difficile de trouver assez de médecins et d’infirmières. Lorsque vous appelez, un « régulateur » vous expédie là où on peut vous prendre.

Cela peut être à 30 km. L’essentiel est que vous sachiez assez bien décrire vos symptômes pour que le « régulateur » comprenne de quoi il s’agit. Et que vous ne traduisiez pas une perforation intestinale par « mal de ventre »...
Exemple désagréable : ma femme fait une infection à la gorge. Le médecin prescrit un antibiotique mais ne précise pas qu’il tient précisément à ce médicament. Automatiquement, le pharmacien lui substitue un générique. Résultat : une allergie grave qui se traduit par des plaques rouges sur tout le corps et les démangeaisons qui vont avec. Deux mois plus tard, elles n’avaient pas disparu. Depuis, nous avons appris que ce médicament générique est connu pour déclencher des allergies. Charmes de la gestion comptable...

Voici donc le modèle de services publics auquel se réfère la candidate X. On ne peut en effet la soupçonner d’ignorer l’état actuel du « modèle suédois ». Plutôt que « modèle suédois », elle aurait dû dire « au modèle de Blair, je préfère le modèle de Persson », du nom du premier ministre suédois, qui se prononce « personne ». On n’y aurait vu que du feu.
Olof Palme est mort, bien mort.
(*) Enseignant à l’École des beaux-arts de Rennes, l’auteur vit en France et Suède.
Par Alain Bourges, enseignant (*)

12 septembre 2006

L'EUROPE ET LA RELIGION

Réunie pour la première fois à Bruxelles, le lundi 11 septembre, une commission d’experts composée de personnalités européennes religieuses et non religieuses a débattu des valeurs communes européennes et notamment de la place de la religion au sein de l’Union européenne.

De nombreux évêques des Etats-membres de l’Union européenne mais aussi de nombreuses personnalités des instances européennes (Jacques Santer, Mario Monti, Franz Fischler, Loyola de Palacio etc) étaient présents à la première réunion de la Commission des "hauts penseurs catholiques européens" qui a eu lieu à Bruxelles le lundi 11 septembre.

Formé à l’initiative de la Commission des Episcopats de la Communauté européenne (la COMECE), le nouveau groupe est notamment chargé de rédiger un rapport sur les valeurs communes qui constituent l’identité européenne d’aujourd’hui.Selon l’ancien ambassadeur belge de l’Union européenne, Philippe de Schoutheete, qui siège au sein de cette nouvelle commission communautaire, le principal objectif du projet est "d’inciter les citoyens européens à prendre conscience des valeurs communes qui les unit, de leur faire comprendre que l’UE est plus qu’un marché commun ou plus qu’une politique agricole commune.

Il s’agit de leur remémorer les valeurs sur lesquelles l’Union a été construite, valeurs qui ont été progressivement oubliées".Le rapport sera aussi indirectement destiné à influer sur la déclaration politique concernant les nouvelles valeurs et ambitions de l’UE que les dirigeants européens ont l’intention d’adopter à l’occasion du 50ème anniversaire du Traité de Rome en mars 2007.

Le rôle de la religion au sein de l’évolution de l’Union européenne devra selon le groupe d’experts et surtout selon la COMECE, tenir une place importante dans cette déclaration.La paix, la liberté, la solidarité, le rejet du national-socialisme, le respect de la diversité étant des valeurs que l’Union européenne et la foi chrétienne partagent, il est important, pour les représentants de la commission, que la religion chrétienne soit incluse dans le texte du nouveau traité constitutionnel européen.

Opinion que la Chancelière allemande, Angela Merkel a partagé publiquement l’été dernier déclarant : "Je pense que le Traité constitutionnel devrait être connecté au christianisme et à Dieu, car cette religion a influé de manière signifiante sur la construction de l’Europe."Mais qu'en sera-t-il pour les autres religions qui contribuent aussi à l’identité européenne, du respect de la laïcité, du respect des non croyants ?

02 septembre 2006

État de grâce terminé pour Angela Merkel

Allemagne . La popularité d’une chancelière, passée « à découvert » pour approfondir les réformes libérales, a fortement chuté dans les enquêtes d’opinion.

L’état de grâce n’aura pas duré plus de huit mois pour Angela Merkel.
Alors que son mandat avait démarré dans des conditions particulièrement laborieuses, la chancelière avait réussi à conquérir rapidement sa légitimité aux yeux de l’opinion en choisissant de s’affirmer sur la scène internationale. Elle bénéficiait ainsi en février dernier d’un taux de popularité record, 75 % des personnes interrogées la jugeant alors favorablement. Selon un sondage réalisé par le même institut six mois plus tard, sa cote a chuté de 24 points et elle ne recueille plus aujourd’hui que 51 % (1) d’opinions favorables.

Les raisons de ce décrochage sont simples : contraintes de passer « à découvert » sur les dossiers de politique intérieure, Angela Merkel se trouve bien davantage confrontée à un mécontentement social toujours très fort dans le pays. Car en dépit du regain de croissance de ces derniers mois le chômage demeure à un niveau très élevé (plus de 10,5 % de la population active) et paraît même reparti à la hausse, si l’on en croit les chiffres communiqués hier par l’Office pour l’emploi, qui signale, pour le mois d’août, une augmentation (corrigée des variations saisonnières) de quelque 5 000 demandeurs d’emploi.

Tenant compte du résultat des législatives de septembre 2005, où les électeurs avaient sanctionné son parti, pour cause de programme ultralibéral, ce qui l’avait frustré d’une victoire nette sur le SPD, la chancelière faisait pourtant preuve de prudence sur le dossier des réformes. Remisant dans les tiroirs l’instauration d’une « flat tax » à l’anglo-saxonne (taux de fiscalité égal pour tous les revenus) ou d’une prime forfaitaire pour refondre le système d’assurance maladie, elle s’est ainsi contentée de pousser plus avant avec son partenaire social-démocrate les réformes libérales, déjà lancées par le cabinet précédent. Lors de sa conférence de presse de rentrée le 20 août dernier, elle a confirmé cette stratégie avec d’autant plus de force qu’elle a adressé un hommage appuyé à son prédécesseur Gerhard Schröder, qui, dit-elle, « a rendu les plus grands services à l’Allemagne » parce qu’il a « réussi à imposer » son fameux « agenda 2010 ».

Seulement ce sont ces mêmes réformes qui, en précarisant massivement les salariés, ont nourri, en son temps, le mécontentement populaire. Il n’est donc guère étonnant que leur amplification aujourd’hui produise sur Angela Merkel et son - cabinet d’union sacrée les mêmes effets que sur l’ex-équipe Schröder.
Le durcissement de la déjà très impopulaire réforme du marché du travail (Hartz IV), notamment vis-à-vis des jeunes chômeurs de longue durée, passe ainsi très mal dans l’opinion. Résultat : les deux partis de la coalition atteignent aujourd’hui, dans les sondages, leurs niveaux les plus bas de toute l’histoire de la république fédérale. Le SPD a chuté depuis plusieurs mois sous la barre des 30 % d’intentions de vote et la CDU, un temps soutenue par la popularité de la chancelière, vient de subir un décrochage parallèle au sien dans l’opinion, dépassant, lui, tout juste la barre des 30 %.

Dilemme supplémentaire pour Angela Merkel : elle se trouve prise entre deux feux au sein de son propre parti. D’un côté, des « jeunes loups » comme Friedrich Merz ou Roland Koch prennent prétexte des mauvais sondages pour critiquer ouvertement son approche, jugée par trop « centriste », et réclament de « vraies réformes » en se référant au programme ultralibéral adopté par le parti, il y a trois ans. Quand, de l’autre, les partisans de l’aile dite sociale de la démocratie-chrétienne - mise sous le boisseau depuis quelques années - relèvent la tête pour dénoncer, eux, la trop grande dureté sociale des projets.

(1) Sondage réalisé du 22 au 24 août dernier par l’institut Infratest pour le magazine Der Spiegel.

Bruno Odent (L'Humanité)

01 septembre 2006


CONSTRUCTION EUROPEENNE PAS DE CONFIANCE

Une écrasante majorité d’Européens ne fait plus confiance aujourd’hui ni en leur gouvernement national ni dans les institutions de l’UE.

D’après l’enquête réalisée fin mai par l’Institut Penn Schoen and Berland pour l’hebdomadaire European Voice, plus des trois quarts des citoyens européens interrogés (78 %) marquent leur défiance à l’égard de leurs gouvernants nationaux et ils sont près des deux tiers (63 %) à proclamer leurs préventions contre les institutions européennes.

Cette photographie de l’opinion montre la profondeur du décalage entre les attentes des populations et une gouvernance nationale ou européenne soumise au formatage transparti induit par la construction actuelle de l’UE, celle-là même à laquelle la constitution libérale rejetée en France et aux Pays-Bas l’an dernier devait apporter un ultime couronnement.

La crise de confiance se traduit selon les lieux soit par le recours au populisme (la Pologne en est l’exemple le plus exacerbé), soit par les soucis de serrer les rangs dans des gouvernements d’Union sacrée (l’Allemagne avec l’alliance CDU-SPD en constituant l’exemple type).

Le chancelier autrichien Schüssel dont le pays préside aujourd’hui l’UE a été l’un des précurseurs de l’instrumentalisation du populisme pour se maintenir aux affaires, lui qui a ouvert son gouvernement (jusqu’à aujourd’hui) à l’extrême droite de Jörg Haider.

Il a été suivi par toute une série de pays dont Italie, Danemark ou les Pays-Bas, suivant un engrenage terrible : plus on entend faire passer démontages sociaux et autres réformes douloureuses requises par les normes libérales de l’UE et plus fort doit résonner le vacarme des dérivatifs sécuritaires ou racistes.

L’Allemagne d’Angela Merkel s’efforce d’imposer à la tête d’une grande coalition les réformes libérales, boudées par les électeurs de base du SPD comme de la CDU.

Le débat politique ne porte donc plus sur leur bien-fondé mais sur le consensus nécessaire pour les faire avaler à une population rétive.Cette normalisation libérale « incontournable » revêt donc un aspect quasi totalitaire que démasque Oskar Lafontaine, ex dirigeant du SPD en rupture de ban, devenu l’un des leaders du parti de gauche en voie de formation outre Rhin, quand il pointe « le parti unique néolibéral. »

Dans la plupart des États membres « populisme instrumentalisé » et tentation d’Union sacrée cohabitent.

C’est cette volonté multiforme de court-circuiter une confrontation de fond qui nourrit la montée du scepticisme à l’égard des gouvernants.

L’évolution est dangereuse bien entendu pour la démocratie européenne, mais elle trahit aussi la faiblesse, des adeptes résignés ou convaincus de la normalisation libérale.

D’où l’immense responsabilité des mouvements et partis qui entendent libérer l’UE de ses terribles carcans.