16 décembre 2011

Allemagne : le modèle qui réduit l’espérance de vie

Les chiffres officiels montrent que les salariés les moins bien payés vivent deux ans de moins qu’il y a dix ans.
Une bonne partie de la presse allemande relevait hier matin « une évolution à contre-courant » concernant les personnes classées dans la catégorie des revenus faibles. Alors que les statistiques ne connaissent qu’une seule tendance depuis des années, celle d’un allongement de la durée de la vie, une évolution négative apparaît pour la première fois chez celles qui sont au bas de l’échelle des salaires.
Alors que, toutes catégories sociales confondues, une progression de l’espérance de vie demeure perceptible outre-Rhin sur les dix dernières années, celle-ci passe de 77,5 ans en 2001 à 
75,5 ans en 2011 chez les personnes qui ont le triste privilège de figurer parmi les moins bien payées. Et ce recul atteint même presque quatre ans (de 77,9 ans à 74,1 ans) chez les citoyens de la partie orientale de l’Allemagne.
Entreprise d'écrasement des coûts salariaux
Ces chiffres sont tirés de la réponse qu’a dû fournir le gouvernement d’Angela 
Merkel à une « grande question » écrite du groupe du parti Die Linke au Bundestag. Les autorités se doivent en effet de répondre à ce type d’interpellation parlementaire de façon très précise en s’appuyant sur toutes les données dont disposent, sur le thème invoqué, les services officiels.
Le lien est patent entre ce recul dûment enregistré de l’espérance de vie des plus pauvres et la formidable 
entreprise d’écrasement des coûts salariaux, qu’ont constitué les réformes antisociales mises en œuvre durant la décennie par Gerhard Schröder puis par l’actuelle chancelière. Les mesures adoptées ont conduit à de terribles déclassements et ont fait grossir d’autant plus vite le nombre de travailleurs pauvres qu’il n’existe pas de salaire minimum légal outre-Rhin.
2 millions de salariés gagnent moins de 6 euros de l'heure
Plus de deux millions de salariés sont ainsi réduits aujourd’hui à percevoir des rémunérations qui ne sont pas supérieures à 6 euros de l’heure. La profondeur du malaise est telle qu’une écrasante majorité de citoyens détestent, comme l’a révélé une enquête Ifop-l’Humanité (Voir notre édition du 1er décembre 2011), le modèle, vendu pourtant aujourd’hui dans le reste de l’UE comme l’unique voie praticable.
Selon d’autres chiffres qu’a dû fournir le gouvernement allemand, les salariés âgés de 64 ans qui disposent d’un vrai travail à temps plein ne sont plus que 9,3 %. L’échec est là aussi patent pour des autorités qui ont argumenté, comme de ce côté-ci du Rhin, sur le bien-fondé du « travailler plus » et la poursuite de l’activité salariée des seniors avec en ligne de mire le passage, au 1er janvier prochain, de l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans.
Ainsi, suprême raffinement, les salariés les plus pauvres sont-ils invités à travailler toujours plus longtemps dans des conditions de précarité toujours plus grande pour accéder in fine à une pension rabougrie dont ils profiteront, on le sait maintenant, moins longtemps.
Bruno Odent

03 décembre 2011

ESCAPADE EN ITALIE

Chronique de Sema, globetrotteuse
Dans deux jours, Rome. Je vais pouvoir confronter tous les clichés que j’en ai à la réalité. Comme à chaque fois que je m’apprête à découvrir une ville que je ne connais pas, celle-ci m’apparaît comme un magma nébuleux, une pieuvre aux formes imprécises.

Mais il ne me faut pas longtemps pour me laisser apprivoiser par ce lieu qui n’est capitale de l’Italie que depuis 1871. Peut-être est-ce parce que celle-ci, bien que de taille imposante, reste encore humaine avec ses quelque deux millions sept cent mille habitants. En tout cas, j’y suis à peine depuis trois heures que je m’y sens bien. Et cette impression de plénitude m’envahit dès le deuxième site que je visite après le Colisée.

Pour fuir les touristes, laissez vos pas vous mener jusqu’en haut du Palatin, une des sept collines de Rome et profitez de la séculaire quiétude qui y règne. Les bruits de la ville y sont atténués. On déambule entre les vielles pierres, une petite brise se lève, soulevant la poussière, faisant voleter quelques feuilles dans la lumière dorée d’un automne encore tiède. Des fleurs jaunes, dont j’ignore le nom, balancent légèrement la tête. ça et là, des papillons. Et cette odeur de pins cyprès. Je descends et longe la Voie Sacrée, mettant mes pas dans d’autres, plus anciens. Ce qui frappe dans Rome, c’est la patine de l’âge.

Puis je rejoins la blancheur baroque du Capitole. Petite pause dans un café en terrasse. Siroter une bière et manger un sandwich club (ils sont impressionnants !) Piazza Venezia. La bière m’assomme, le prix de ma consommation aussi. Mais cela fait partie du trip, de l’aventure. Je monte vers le Capitole, entre dans la fraîcheur de la Basilique, m’assieds sur un banc et ôte mes baskets. Petite sieste de quelques minutes qui me requinque et me permet de reprendre ma déambulation à travers la ville.Zut !

Oublié de recharger la batterie de mon appareil. Les visites de l’après-midi ne seront pas immortalisées. Et c’est bien dommage ! Car je découvre le Panthéon, la Fontaine de Trevi, la Piazza di Spagna avec sa fontaine en forme de bateau. Moi aussi je jette mes deux piécettes dans la Fontaine de Trevi, l’une pour faire un vœu personnel, l’autre pour espérer revenir un jour à Rome. Ce qui ne serait pas pour me déplaire car je suis tombée sous le charme de cette ville, c’est indéniable. Je me dis que ce doit être ça, la dolce vita, la douceur de vivre à l’italienne.

Des thermes de Caracalla, inaugurés en 216 ap. JC, à la Bouche de la Vérité, j’arpente Rome ; j’en prends la pleine mesure. Les ponts jetés par-dessus le Tibre sont, comme tout ce que j’ai vu pour le moment, marqués par le temps. J’emprunte le Ponte Palatino. Mes jambes ne me portent plus. Je m’affale en terrasse Piazza di Marria in Trastevere. Chocolat chaud si épais qu’il se mange à la cuillère, fatigue, mais quel bonheur.

Décidément, je pourrais m’installer et vivre dans cette ville !Retour de l’autre côté du Tibre à la découverte de l’ancien ghetto juif dans lequel, suite à une Bulle papale, les Juifs de la ville furent confinés pendant plus de trois siècles, contraints de porter sur leurs vêtements un cercle jaune, précurseur d’un autre signe stigmatisant autrement plus sinistre. Messieurs, vous mettrez la kippa pour entrer dans la synagogue, construite entre 1901 et 1904. Le contrôle de sécurité est obligatoire depuis qu’un attentat a été perpétré par l’OLP en 1982. Là, notre guide nous explique qu’en 1943, Rome a subi l’occupation allemande pendant neuf mois et que les Nazis ont pillé les bibliothèques, s’emparant de manuscrits et de livres précieux qui n’ont jamais été retrouvés.

Retour au pas de course à la Fontaine de Trevi pour faire quelques clichés. Il ne sera pas dit que je quitterai Rome sans une photo de l’imposant Neptune !

Dîner dans une Piazza Barberini. Les raviolis sauce aux morilles sont onctueux et fondent sous la dent. Attention à votre porte-monnaie également susceptible de fondre car les prix indiqués sur la carte ne prennent pas en compte les couverts, le pain ni le service que l’on vous facturera en supplément. Vous risquez de faire une drôle de tête si vous ne vous y attendez pas.

De retour à mon hôtel non loin de la gare Termini, je m’effondre sur mon lit. Mes pieds sont des excroissances douloureuses, des centres d’où irradie la souffrance. En dépit de cette paroxystique algie, je ne regrette pas ma longue expédition à travers la capitale du Latium. J’ai pris des rues, des venelles, le pouls de la ville que je sens dans tout mon corps endolori.

Je m’endors, fébrile à l’idée que demain, je découvrirai le saint des saints : le Vatican.

Jour 3

Métro ligne A, descendre à Ottaviano San Petro. Rdv avec notre guide qui nous emmène pour trois heures d’histoire, d’art et de culture. C’est Mussolini qui, en 1929, a accordé au Pape l’extraterritorialité du Vatican.

Epoustouflée, je découvre sur ma gauche une longue galerie où s’aligne, sur la gauche et la droite, une succession de statues, de bustes et de sarcophages. Au détour d’une cour, un Apollon, son prêtre au visage si expressif malgré sa frigidité marmoréenne, un peu plus loin, des bassins en marbre d’Egypte et aux pieds griffus. C’est une profusion d’œuvres : serpents de mer, fenêtres aux bordures décorées dans le style grotesque à découvrir dans la galerie des cartes, volets au bois travaillé dans les chambres de Raphaël, plafonds en bois couverts de feuilles d’or, salles aux œuvres plus contemporaines où je reconnais des figures grimaçantes de Francis Bacon. Et puis le nec plus ultra, l’incontournable Chapelle Sixtine. Noire de monde.

D’un monde que j’aimerais voir s’écarter et même disparaître pour pouvoir m’allonger à terre et détailler la voûte surchargée, œuvre du grand maître qu’était Michel-Ange : la Création de l’Homme, Adam et Eve chassés du Paradis. Sur le mur en face : le Jugement Dernier. No flash, no photo, no bruit. Des gardes s’épuisent en inutiles « chut » pour nous rappeler qu’ici nous sommes dans un lieu saint qui impose le recueillement.

Puis nous terminons par la Basilique Saint-Pierre, réputée être la plus grande au monde. Comme tous les touristes présents, j’admire sur la droite La Piéta de Michel-Ange et un peu plus loin des œuvres du Bernin.

Nous ressortons sur la place Saint-Pierre, direction Château-d’Ange puis la Galerie Borghèse située en hauteur. Comment raconter l’inracontable ? Quels mots trouver pour décrire la perfection des statues que, pas après pas, j’y découvre ? La Pauline de Canova, le Rapt de Proserpine du Bernin, pour ne citer que celles-ci.

Pause cannelloni siciliano, pâtisserie garnie de ricotta. Un vrai délice !

Je repars à l’hôtel, fais ma valise. Demain il me faudra me lever tôt pour aller prendre l’avion à l’aéroport de Fiumicino. Ainsi s’achève cette parenthèse à Rome, courte escapade dont je reviens impressionnée. Oui, j’ai confronté les clichés à la réalité. Et s’il y a une chose que j’ai découverte, c’est que cette ville mérite le détour !

Par Sema, globetrotteuse, 24-28 octobre 2011
Sema est professeur d'anglais et écrivain. Son dernier livre, le Chant des tourterelles, édition Arganier, est un des premiers romans écrit autour du chemin de l'immigration turque vers la France.